Camille Claudel – Cartas à Gustave Geffroy
Paris, 3 mars 1895 (cachet postal) Monsieur Geffroy. Je viens vous rappeler la promesse que vous m’avez faite de me venir voir un Dimanche. Je serais très heureuse d’avoir votre avis sur les petites choses nouvelles que j’ai cherchées. Dans cet espoir, je vous serre la main. Camille Claudel
[avril 95 ?] Monsieur Geffroy Selon votre désir j’ai envoyé au salon le goupe de petites femmes chuchotantes mais je n’ai pas pu y mettre le violoneux car la cire a fondu aux premières chaleurs et l’a fait tomber. Je vous remercie d’avance de votre bonté de faire un article sur moi. Recevez mes meilleures amitiés. Camille Claudel
Paris, 9 mai 1895 (cachet postal) Cher Monsieur Geffroy. Je viens de lire seulement aujourd’hui l’article si bienveillant que vous me consacrez dans le Journal. On ne peut mieux comprendre mon intention et encourager d’une façon plus délicate l’artiste dans sa nouvelle voie. Croyez à toute ma reconnaissance et si un jour vous vous trouvez par hazard (sic) égaré du coté du Bould. d’Italie n’oubliez pas de venir frapper à la porte de votre amie dévouée. Camille Claudel. Rappelez-moi au bon souvenir de Hamel.
Enveloppe M. Geffroy 30 quai de Béthune E.V. [1898 ?] Cher monsieur et ami, Je vous prie d’accepter ces quelques peintures chinoises qui sont excessivement fines et ressemblent à des primitifs, bien que ce soit peu de chose, je serai heureuse de voir figurer dans votre collection ” le côté chinois ” qui n’est pas le moins intéressant. Je vais ce matin chez Carolus Duran pour le prier de me rendre ma démission et pouvoir exposer ce Persée de malheur qui m’a déjà fait tant de mal. Dites-moi si vous accepteriez au cas où je vous inviterais à dîner chez moi avec Pottecher et sa femme quelques amis ? Ne redoutez pas trop ma cuisine, et ne vous figurez pas que je ne suis capable de gâcher que le plâtre. Vous me ferez un affront sanglant de me refuser car du coté cuisine, j’ai la tête prés du bonnet. Dites-moi donc si vous serez ici la semaine de Pâques et fixez-moi un soir où je pourrais vous avoir sans trop vous déranger, je me guiderai d’après cela. Recevez mes bien sincères amitiés et remerciements. Camille Claudel
Paris, 22 juillet [1899?] (cachet postal quasi illisible) Cher Monsieur et ami N’oubliez pas que vous m’avez promis votre visite. Je tiens absolument à vous faire voir ma grande statue. Je suis toujours chez moi le matin 19 quai Bourbon. Amitiés sincères. C. Claudel
[fin 1904, début 1905] Mon cher Geffroy, J’irai vous voir Dimanche matin vers 10 heures 1/2 pour causer avec vous du monument de Blanqui. Je ne sais si je pourrai accepter une chose aussi importante car mon état de santé ne me permet plus les travaux fatigants. Dans tous les cas je vous remercie de votre bonne intention et vous envoie mes sincères amitiés C. Claudel
Paris, 26 février 1905 (cachet postal) Inscription au crayon 113 Bd d’Italie Mon cher Geffroy, Permettez-moi de vous offrir ce petit groupe de la Valse. Si vous trouvez à m’en vendre de semblables, vous me rendrez grand service car à la suite de discussion de famille je suis dans une position désespérée. J’ai commencé à me pénétrer du caractère de Blanqui, quand vous viendrez me voir je causerai avec vous à ce sujet, (le caractère de mad. Blanqui a bien des ressemblances avec des mères que je connais) Recevez mes sincères amitiés. C. Claudel
mars 1905 (cachet postal) Melle Claudel 19 quai Bourbon. Mon cher Geffroy, Je réponds à vos questions: 1° j’accepte de faire le monument de Blanqui, 2° Comme arrangement je préférerais un monument adossé à quelque chose comme en faisait souvent Dalou, qu’un monument ronde-bosse qui ressemble à un calvaire avec une pyramide pour le buste et un (sic) figure qui pleure en bas, cela s’est trop fait. Cet arrangement (adossé) aurait pour avantage de pouvoir reproduire un morceau du rocher du Mont St Michel. il me semble que l’apparition d’Amélie Suzanne pourrait fournir de gracieux prétentans (?) (ou prétextes(?)). il y aurait probablement une figure grandeur nature et un buste ou médaillon. Je préférerais la pierre au bronze. 3° Demandez-moi 20000 F ce n’est pas trop pour le faire bien en pierre. Vous me trouverez le Dimanche et le jeudi après-midi, nous causerons mieux que par lettre. Je n’ai pas encore fini votre livre, il y a des passages admirables dans le séjour au mont St Michel. Je considère Blanqui comme un révolté d’instinct, il ne sait pas contre quoi il se révolte mais il se sent dans le faux, dans un monde plongé dans l’erreur et il lutte continuellement sans pourtant savoir où est le vrai. Sa philosophie, ses réflexions sur le christianisme et les secrètes destinées de l’âme humaine se rapprochent de ce que je pense par bien des points. La grande lutte, mais dans une brume trop épaisse, il se débat en vain et succombe, le temps n’est pas encore venu de la lumière. Voila ma pensée sur lui. Je vous envoie mes sincères amitiés C. Claudel. à bientôt.
s.d. [1905 (?)] (reproduite in R.-M. Paris et A. de La Chapelle, 1990, p. 262). Mon cher Geffroy, Je viens de voir Blot, nous avons conclu un petit marché. Il ira vous voir demain matin jeudi : je préfère que vous ne lui montriez pas ma Valse : il la voudrait et je n’ai plus le droit de la vendre à l’édition, l’ayant déjà cédée il y a longtemps à Sio-Decauville. Je vous prie donc de ne pas la lui faire voir (à moins que vous ne lui en ayez déjà parlé). Il m’a acheté La Fortune et la pensée. J’avais peur que ma dernière lettre ne vous soit pas parvenue.J’espère vous revoir un jeudi ou un Dimanche après-midi. Sincères amitiés. C. Claudel Je trouve votre livre de plus en plus beau, votre homme est un poète et non un politique.
Paris, mars 1905 (cachet postal) Cher Monsieur Geffroy Je suis en ce moment très souffrante et dans un état qui ne me permet pas d’entreprendre un long voyage. De plus j’ai mon groupe à finir et des démarches à faire au Salon pour le faire placer. Il serait donc à la fois contraire à ma santé et à mes intérêts de m’absenter en ce moment C’est ce que sait bien le sieur Rodin qui, comme d’habitude cherche à m’éloigner de Paris au moment du vernissage (je le gène considérablement). Il n’a pas encore réussi cette fois-ci: je ne partirai qu’après le vernissage des deux salons où je tiens à assister malgré lui. De plus il me faut avant de partir la commande de Blanqui, sur papier timbré pour que je n’aille pas perdre mon temps pour choisir un emplacement et que le sieur La Fouine n’aille prendre la commande. De plus, il me faut avant de partir gagner au moins 1000 F pour m’acheter les différents objets dont j’ai besoin : une malle, deux ou trois robes et chapeaux (n’ayant rien à me mettre) et solder quelques petites dettes de quartier. Le sieur La Fouine s’arrangeant toujours pour que je n’aie pas d’argent. Je me trouve empêtrée de différentes choses et ne puis partir sans avoir satisfait mes fournisseurs. De plus mon frére arrive le 4 et je tiens à me trouver là à son arrivée (malgré ledit La Fouine) qui voudrait me brouiller avec lui. Tout cela, mon cher Geffroy, n’est pas pour vous. Vous ne connaissez pas le type à qui vous avez à faire, il se sert de vous sans que vous vous en doutiez. En ce moment, en toute sincérité j’ai 3 sous dans ma poche, mes ouvriers pas payés, pas de robes sur le dos il n’y a pas de quoi entreprendre un voyage d’agrément. Je vous envoie mes sincères amitiés et remerciements. C. Claudel
Paris, 4 avril 1905 (cachet postal) Mon cher Geffroy. il est inutile de vous dire que depuis l’autre jour je suis encore en train de tousser et d’éternuer tout en polissant avec rage le groupe destructeur de ma tranquillité : c’est avec des yeux larmoyants et des rauqulements (sic) convulsifs que je termine les cheveux de Vertumne et Pomone: Espérons malgré ces différents accidents, qu’ils seront terminés d’une façon logique et comme il faut qui convient à des amoureux parfaits, Dieu merci, j’en ai assez de souffler sur la sculpture en attendant les billets de mille francs qui se font de plus en plus réfractaires. Un fichu métier : il vaudrait mieux travailler que faire ça! Il est temps que je devienne (budgétivore) de la ville de Puget-Théniers qui parait trouver la plaisanterie excessivement louche et ne semble s’y prêter qu’à regret. Mais enfin cela me changera. J’ai écrit à Mr Grangeon que si pour le prix de 7500 F il pouvait simplement commander un beau buste de Blanqui en pierre avec le torse et les bras et une stèle ce serait beaucoup plus artistique et me conviendrait beaucoup mieux qu’une statue banale en vilain bronze et avec un argent insuffisant. Je vous envoie mes amitiés. C. Claudel Le Calédonien qui doit ramener mon frère est arrivé, nous ne savons pas s’il est dessus oui ou non, ou s’il a passé par l’Italie.
[avril 1905 ?] Mon cher Geffroy Je vous attendrai jeudi matin comme vous me l’annoncez. Nous causerons Blanqui. Sincères amitiés. C. Claudel mon frére contre toutes prévisions n’est pas encore arrivé: cela ne m’étonnerait pas qu’une mauvaise bête ne le fasse assassiner.